La culture hors des sentiers battus
- Art, artisanat, culture, loisirs
À l’heure ou le secteur culturel est particulièrement malmené, partons à la rencontre de trois initiatives du territoire qui changent la façon de faire de la culture et dessinent une filière foisonnante d’innovations, à l’écoute de la diversité culturelle et qui fait du bien à la cohésion sociale.
Culture et coopération
En Pays de Retz, la culture se déploie en coopération. Le collectif Spectacles en Retz réunit 250 membres, principalement des habitant·es mais aussi une cinquantaine d’associations, collectivités territoriales et entreprises qui défendent une culture implantée sur son territoire et portée à plusieurs.
L’association qui fête ses 30 ans prépare un temps fort emblématique de cette pratique collective dont elle est précurseur. En février-mars 2026, le festival Errance proposera une cinquantaine de rendez-vous portés par les membres du réseau (bibliothèques, écoles de musique, associations, cinémas…) pendant six semaines. Derrière cette programmation fleuve, une invitation lancée au collectif à se saisir d’une même thématique (« Rives Mississipi » pour la prochaine édition) et un soutien administratif, financier ou de communication apporté par l’association Spectacles en Retz.
La pression budgétaire ? Elle est présente comme partout mais n’abîme en rien l’envie de faire. « On est impactés assez durement financièrement mais sur tous les autres aspects, l’association va très bien. Les envies humaines sont nombreuses et fortes » précise Alain Guilbaud. Et d’après le directeur de l’association, côté engagement, tous les voyants sont au vert : l’appel à participation à une chorale éphémère a réuni 55 inscrits et affiché complet en 2 semaines, la gouvernance de l’association est impliquée et solide, le succès de la mise en place d’un tarif de soutien pour celles et ceux qui peuvent payer un peu plus cher a permis de ne pas augmenter les tarifs les plus réduits, les adhérents n’ont jamais été aussi nombreux.
Création et handicap
La compagnie Le Cercle Karré se définit comme un ESAT culturel et artistique. Classiquement, ces établissements qui permettent aux personnes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle adaptée déploient leurs activités dans la gestion des espaces verts, les métiers de bouche ou la sous-traitance, ici c’est le théâtre qui a été choisi comme activité support.
« Nous fonctionnons comme une compagnie de théâtre classique avec un directeur artistique, des comédiens professionnels, des spectacles en création et 40 à 50 dates de tournée à l’année » explique Jérôme Couroussé, coordinateur de la compagnie. À ceci près que les comédien·nes en question ont la particularité de porter un handicap intellectuel ou psychique et de bénéficier d’un accompagnement médico-social.
Engagée sur des sujets de société comme l’inclusion ou l’écologie, la compagnie ne place pas au cœur de ses créations la question du handicap. « Si nous avons développé des formats pour sensibiliser au handicap, ce n’est pas notre motivation première. Nous voulons montrer que les métiers artistiques peuvent être accessibles aux travailleurs ESAT. Ce sont des gens talentueux qui ont envie de développer des compétences, nous les formons à un métier, nous veillons à ce que chacun comprenne et valide ce qu’il joue et prenne part au processus créatif ».
Côté modèle économique, la compagnie, portée par l’Adapeila, structure majeure du champ du handicap en Loire-Atlantique, s’avoue moins impactée que ses consœurs. La perte d’aides à la création et à la diffusion diminuent cependant l’ambition de porter largement une autre esthétique sur scène et freinent le développement de l’activité. « Nous aimerions aller plus loin et explorer à l’avenir des métiers périphériques comme la régie son et lumières ou la billetterie par exemple. »
Des artistes partout, pour tous
« En fonction de la famille dans laquelle on a été élevé ou le quartier dans lequel on a grandi, on n’a pas accès à la pratique artistique de la même manière » : Christophe Chauvet, directeur de l’association PaQ’la Lune met les pieds dans le plat. Les inégalités d’accès à la culture sont criantes – ou plutôt l’accès « aux cultures au pluriel » corrigerait-il. Car c’est une vision plus large de la culture que défend cette association d’éducation populaire implantée à Nantes et en Anjou. Si la culture institutionnelle a pour ambition de révéler au plus grand nombre les grandes œuvres de l’humanité, on peut, à rebours, considérer que chaque personne peut être porteuse de culture. « En dépassant la logique de spectateur-consommateur, on permet aux habitants de contribuer à la vie culturelle ».
Chez PaQ’la Lune, cela se concrétise par des actions tournées vers la jeunesse, et notamment celle vivant dans les quartiers prioritaires, avec une attention particulière à l’interculturalité car « à partir du moment où l’on s’intéresse à ma culture, je peux m’intéresser à celle de l’autre ».
La découverte de la pratique artistique intervient sur les « 3 temps de l’enfant » : le scolaire avec des parcours d’éducation artistique et culturelle menés par des artistes avec les équipes pédagogiques, le périscolaire avec des artistes-intervenant·es qui initient à leur discipline et l’extrascolaire avec des ateliers hebdomadaires en maison de quartier, des animations en pied d’immeuble ou encore des interventions dans des établissements médico-sociaux.
« Nous intervenons à la croisée de différentes politiques publiques, éducation, culture, cadre de vie, rénovation urbaine, social… Cela nous permet de diversifier les partenaires, les sources de revenus et de résister aux fragilisations économiques que nous subissons comme l’ensemble du secteur. » Grâce à ce modèle hybride, l’association fait le choix de salarier des artistes au régime général et de mener des actions sur le temps long. Un remède pour éviter le « ce n’est pas pour moi » et créer un lien privilégié avec les publics.
Ces quelques exemples démontrent la capacité des acteurs culturels à s’emparer des enjeux d’une société en peine de lien social et de plus en plus polarisée, à porter la vision d’une culture plurielle, accessible et inclusive. La réduction des politiques culturelles et la pression budgétaire font courir le risque de fragiliser ces structures qui luttent depuis longtemps déjà pour trouver un équilibre entre liberté de création, accessibilité et modèle économique. « Les actions comme les nôtres sont quasi des actions de résistance. Dans une société qui se replie, où les liens sont mis à mal, nous gardons la conviction que ce que nous faisons est utile » conclut Alain Guilbaud.
Pour aller plus loin
- Découvrir la prochaine création de la Compagnie Le Cercle Karré et parler création et inclusion, mardi 2 décembre au Théâtre Francine Vasse
• 10h00 – Représentation tout public de « Baraque », dernière création de la Compagnie Le Cercle Karré
• 11h45 – Table ronde « Création et diffusion des compagnies inclusives » - Sillonner le Pays de Retz avec l’ensemble des spectacles (professionnels ou amateurs) programmés par les adhérent·es du collectif Spectacles en Retz pour la saison 2025-2026.
- Entrer dans la Saison de la Lune, une série de rendez-vous portés par l’association PaQ’la Lune.
- Lire notre article sur l’état des les lieux de la filière : Culture et ESS : se rapprocher pour mieux se réinventer