Culture et ESS : se rapprocher pour mieux se réinventer

  • Art, artisanat, culture, loisirs

Un an après les annonces de coupes budgétaires brutales de la présidente de la Région Pays de Loire et alors que les baisses des financements se généralisent à tous les échelons, comment va la culture sur notre territoire ? Si les acteurs et actrices de la filière partagent avec clairvoyance l’état alarmant du secteur, ils·elles n’en restent pas moins mobilisé·es pour prévenir les risques-psychosociaux, s’appuyer sur la coopération et la mutualisation, continuer à faire bouger leurs modèles et pourquoi pas en s’appuyant sur les pratiques éprouvées par l’ESS. Une question de survie, ou de résis

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Les Ecossolies

Des moyens de plus en plus limités pour une mission de service public essentielle

« La situation me rappelle nos débuts : nous n’avons plus aujourd’hui les financement socle qui couvraient la totalité de nos frais de fonctionnement. Ça se tend de partout et nos partenaires ne peuvent pas tout compenser. On court après les appels à projets et les financements exceptionnels. » Ces mots d’Alain Guilbaud, directeur du Collectif Spectacles en Retz auraient pu être prononcés par bien d’autres, tant ils couvrent une réalité qui se généralise.

Clémence Ménard, entrepreneure associée à OZ et référente Culture pour Les Ecossolies, confirme la précarité grandissante du secteur et alerte : « on commence à voir les effets maintenant, les fonds qui ont permis à beaucoup de tenir jusque-là arrivent à épuisement » et ajoute « on nous parle d’autofinancement, de philanthropie miraculeuse ou de nouvelles activités à développer mais c’est ignorer que cela fait des années que le secteur bricole avec peu de moyens, innove et invente de nouveaux modèles. » C’est oublier aussi les spécificités d’une filière qui porte une mission d’intérêt général et qui à ce titre doit être soutenu par la puissance publique. « Cela devrait presque relever de la prescription médicale tant l’art est bénéfique pour la santé mentale, la cohésion sociale » défend Camille Prouteau, responsable du dispositif TRAJET, un outil co-portés par les 6 pôles culturels que comptent les Pays de la Loire* qui aide les porteur·ses de projets culturels à se professionnaliser.

La crainte d’une création étouffée

Dans une situation économique plus qu’incertaine, l’heure n’est pas à la prise de risque. Difficile pour les artistes qui débutent de trouver leur place dans les programmations qui privilégient les têtes d’affiche pour assurer des recettes de billetterie ou pour les lieux de diffusion de sortir des cadres habituels. « Notre combat c’est d’accéder aux lieux culturels classiques » illustre Jérôme Couroussé, coordinateur de la Compagnie Cercle Karré, une compagnie qui conjugue création et handicap, « le contexte n’aide pas les programmateurs à se lancer et on voit se refermer les possibilités de porter sur scène des comédiens en situation de handicap, là où les choses commençaient à bouger ».

Un constat partagé à d’autres égards par Camille Prouteau : « Il est aujourd’hui quasiment mission impossible pour une jeune compagnie et des artistes émergents de trouver des co-productions ou des financements pour la création, celles-ci, ou ceux-ci, étant conditionnés à des engagements importants en diffusion. Les artistes peuvent aussi être touchés sur certains territoires par une augmentation des entraves à la liberté de création : déprogrammation, suspension de financements publics en raison de propos contraires aux idéologies religieuses ou identitaires. »

Alerte sur les risques psycho-sociaux

En plein appel à projets pour la prochaine session du dispositif Trajet, Camille Prouteau est en prise directe avec les premiers et premières impacté·es par les conditions qui se dégradent : les professionnel·les du secteur. « Je rencontre de nombreuses personnes en pleine interrogation, qui ont perdu leur emploi, leur statut d’intermittence faute de travail suffisant ou qui quittent leur structure par ras-le-bol ». Clémence Ménard confirme l’importance de la question des risques psycho-sociaux : « la fragilisation économique est portée par des équipes salariées qui se réduisent, parfois ce sont des bénévoles qui portent ou reprennent le fonctionnement d’une association et doivent mener la barque dans un contexte de crise ».

Stress, perte de sens, burn-out… comment assurer une bonne prévention dans des organisations culturelles aux moyens si limités ? C’est la question que posent Les Ecossolies en invitant les acteurs de la filière lors d’un petit-déjeuner qui sera organisé en partenariat avec le Pôle Musique, en janvier prochain. Une manière pour le réseau de l’économie sociale et solidaire de réunir les troupes pour échanger sur les bonnes pratiques et déployer ensemble de nouvelles solutions.

Modèle ESS : lever les tabous et outiller un secteur qui bouge

Un rapprochement entre pratiques de l’ESS et secteur culturel qui pourrait sembler évidant mais ne l’est pas toujours. Si de nombreux acteurs culturels relèvent de l’ESS par leur statut juridique, notamment associatif, peu s’en revendiquent ou s’approprient ses valeurs. « Le langage de l’ESS peut faire peur, le champ lexical de l’entrepreneuriat, même s’il est social, coopératif voire non lucratif, est totalement étranger à de nombreux professionnels de la culture » explique Christophe Chauvet, directeur de production de l’association PaQ’la Lune et membre du conseil d’administration des Ecossolies.

C’est toute la tâche du dispositif Trajet : inciter ces entrepreneur·es qui s’ignorent à effectuer une « trajectoire », à décaler leur pratique. « Ce sont pour 50% des artistes mais aussi des porteurs de projet issus des métiers de la communication, la production ou la médiation. Les valeurs humanistes, sociales, émancipatrices… sont bien là. Nous les outillons en leur apportant les pratiques de l’ESS pour aligner valeurs et pratique professionnelle sur des sujets parfois peu interrogés comme la fonction employeur, la place du bénévolat ou la création de valeur économique » appuie Camille Prouteau. Se confronter à des professionnel·les de différents champs culturels, s’acculturer à l’entrepreneuriat, s’interroger sur ses impacts sociétaux, impliquer les parties prenantes du projet, apprendre à piloter une activité économique sont autant de sujets mis au travail pendant les 6 mois de cet accompagnement individuel et collectif.

Une dynamique soutenue par Les Ecossolies qui travaillent au rapprochement entre culture et ESS depuis 2023, avec pour guide une conviction : pour défendre l’accès à la culture pour toutes et tous, il faut accompagner celles et ceux qui la font vivre.

* Ces organismes créés à l’initiative des acteurs culturels fédèrent plus de 1200 structures regroupées par grandes disciplines (musique, arts visuels, livre, spectacle vivant, cinéma et audiovisuel, patrimoine). Un modèle pertinent pour mutualiser des outils, se former et créer un cadre de transformation des modèles de la culture mais paradoxalement mis à mal par les coupe budgétaires.

Pour aller plus loin

  • Carto-crises : cette cartographie contributive vise à identifier plus précisément les organisations impactées par des diminutions de soutien public en 2025
  • Notre article « La culture hors des sentiers battus » pour découvrir trois initiatives du territoire qui changent la façon de faire la culture
  • Petit déjeuner réseau Culture organisé par Les Ecossolies avec le Pôle Musique, en janvier 2026 (infos à venir : abonnez-vous à notre newsletter « Pro » pour ne rien manquer)
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